Créole Vice principal(e)

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Posté le: Lun Fév 04, 2013 6:54 am Sujet du message: Historiographie Lumières (suite et fin) |
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Les Lumières
La Révolution, en quête de légitimité, se réclame donc des Lumières ; mais, à l’instar de la vision simplifiée donnée par certains manuels, doit-on voir dans les philosophes des Lumières des précurseurs de la Révolution ?
La question a été posée pendant la Révolution elle-même et la réponse a été positive.
En effet, on s’appuie alors sur des textes que l’on considère comme « prophétiques » : « Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions. Je tiens pour impossible que les grandes monarchies aient encore longtemps à durer ; toutes ont brillé, et tout État qui brille est sur son déclin ». (J.J Rousseau)
L.-S. Mercier publie en 1791 un ouvrage dont le titre parle de lui-même: JJ Rousseau considéré comme l’un des premiers auteurs de la Révolution. L’abbé Barruel, un contre révolutionnaire, quant à lui, développe la thèse de la responsabilité des philosophes, l’Idée d’un complot hilosophique et maçonnique à l’origine de la Révolution. Rares, alors, sont ceux qui déchargent les philosophes. J.-J. Mounier, en 1801, dans De l’influence attribué aux philosophes, francs-maçons et illuminés, soutient que les philosophes n’ont jamais appelé à la révolte, leur objectif n’était guère de bouleverser l’ordre social mais au contraire de le protéger contre des cataclysmes en le modernisant et le réformant.
Furet dit que Mounier avait certainement raison car le dénominateur commun des philosophes, malgré leurs divergences, était l’incitation aux réformes, celles d’un Turgot, d’un Joseph II. Les Lumières, opposées à la monarchie absolue, lorsqu’elle tend au despotisme, préfèrent un régime qui mêlerait l’autorité du monarque et des mesures libérales prenant en compte leur philosophie (« despotisme éclairé » incarné par Frédéric II de Prusse ou Catherine de Russie). Les philosophes ne seraient pas des précurseurs de la Révolution. Pour les philosophes des Lumières, les réformes étaient la solution ; elles incomberaient au pouvoir éclairé… c’était reconnaître ainsi la politique, et non la révolte, comme instance décisive de tout changement social. Joël Cornette cite Voltaire à propos de Frédéric II : « Il y a dans le monde un prince qui pense en homme, un prince philosophe, qui rendra les hommes heureux… »
Influence des idées des Lumières…
Cependant, on ne peut nier la forte présence des idées des Lumières dans les vifs débats des Révolutionnaires. On ne peut pas nier une évidence : l’existence de liens entre philosophie des Lumières et Révolution, même si cette philosophie dite des « Lumières » n’est ni un corpus univoque, ni uniformément ni complètement diffusée dans un royaume encore attaché aux traditions chrétiennes et monarchiques.
Il est vrai que la ville comme le souligne Daniel Roche est l’espace privilégié de la diffusion des Lumières ; « c’est là que se forme, au milieu du XVIIIème siècle, un « espace public », constitué par l’accès à la lecture, à l’écriture, à la discussion d’un nombre croissant d’individus. L’ensemble des écoles, encore contrôlées en majorité par l’Église, forme à peu près 10% des enfants ; c’est peu et beaucoup à la fois. C’est en tout cas suffisant pour former des élites cultivées. »
Les salons (Mlle de Lespinasse, Mme Tencin), les cafés (Le Procope) et les journaux contribuent à faire connaître les idées des Lumières à un public plus large. Les Sociétés de pensée, lieu de rencontre entre élites bourgeoises et aristocratie (Franc-maçonnerie), la multiplication des bibliothèques ainsi que le développement des récits de voyages permettent que les idées des Lumières se diffusent.
Mais qu’en est-il des campagnes ? Sans doute une fraction du clergé, de la noblesse, quelques seigneurs éclairés, abonnés aux journaux, les médecins, les chirurgiens ont accès aux idées nouvelles des Lumières. Mais dans les milieux populaires la diffusion reste beaucoup plus modeste et limitée
Ainsi, même si le XVIII° des élites est un temps d’optimisme, avec l’idée que l’homme par sa raison et son esprit critique, appliqué aux sciences, à la religion et à la politique, peut accéder au progrès et améliorer sa condition, la vie culturelle semble concentrée à Paris. Les Lumières ne concernent en fait qu’une élite, formée de la grande noblesse et de la haute bourgeoisie surtout financière, qui parvient parfois à propager ses idées dans certains milieux urbains intermédiaires attentifs à la vie politique.
Pour certains historiens du XIXème, Taine par exemple, la philosophie des Lumières reste la principale responsable de l’éclatement de la Révolution. Mais, même s’il existait des tensions entre l’esprit nouveau et la persistance de l’absolutisme du trône et de l’autel, l’Eglise conservait une forte influence sur les esprits surtout dans les paroisses rurales.
Alors, comment expliquer cette explosion d’énergie spectaculaire que fut la Révolution ?
Alphonse Dupront dans Qu’est-ce que les Lumières ? propose une réponse. Pour Dupront, la seconde moitié du XVIII° est un état de « pré-révolution ». Il y a bien dans la création des Lumières un besoin d’accomplissement mais celui-ci doit prendre soit la voie du « despote éclairé » soit celle d’une organisation d’une « société de pouvoir ».
Il souligne le fait que, certes, les Lumières sont autre chose que spéculation ou définition doctrinale. Elles cherchent bien la transformation de la vie commune, un sens et elles tendent à la réalisation concrète…. Mais la République des Philosophes ne sera pas gouvernée directement par eux.
Toutefois, même s’ils n’ont pas régné directement, les définisseurs des Lumières ont eu des truchements du règne et la Révolution paraît dans l’histoire quand l’ordre neuf, déjà mûri dans les têtes, n’a plus qu’à se manifester réalité commune.
« Monde des Lumières et Révolution française se situent ainsi comme deux manifestations (ou épiphénomènes) d’un procès plus entier, celui de la définition d’une société des hommes indépendante, sans mythes ni religions (au sens traditionnel du terme), société « moderne », c’est-à-dire société sans passé ni tradition, du présent, et tout entière ouverte vers l’avenir. Les véritables liens de cause à effet entre l’une et l’autre sont ceux de cette commune dépendance à un phénomène historique plus large, plus entier que le leur propre » (A. Dupront)
Ainsi, les Lumières seules ne suffisent à expliquer la Révolution ; il faut, pour cela, prendre en compte ce que Dupront appelle les « révolution concomitantes ».
Les « révolutions » concomitantes
Trois mouvements d’ensemble se font jour dans 2nde moitié du XVIIIème et, pour Dupront, œuvrent :
- une pulsion collective de révolution politique et sociale,
- les prodromes de ce que nous appelons « Révolution industrielle »
La révolution industrielle s’inscrit dans un développement de puissance de la création humaine, dans la recherche permanente de la maîtrise des éléments et de l’action sur la matière.
L’idée de progrès est liée à la puissance de l’homme sur la matière.
- le préromantisme.
Au XVIIIème, on assiste à une poussée des forces irrationnelles. A la suite de Rousseau, s’épanouissent les droits de la passion et du cœur mais aussi les prémisses de la « psychologie des profondeurs »… Il y a, alors, une « compénétration mentale entre expérience sur l’électricité, le magnétisme et toutes formes d’action psychique à distance (magnétisme, phénomène de voyance, spiritisme…) » On découvre des forces obscures qui sont autant de sources d’énergie secrète, demain exploitables pour la Révolution.
La dimension européenne des Lumières : Les lumières, est-ce vraiment un phénomène européen ?
2ème ½ du XVIIIème - L’Encyclopédie, De l’esprit des lois, Histoire naturelle de Buffon = les lumières françaises = un modèle. Mais un modèle construit dans la confrontation avec des modèleseuropéens ; jamais isolé.
Ex Voltaire: lettres philosophiques nourries par son exil en Angleterre d’où il est revenu défenseur de Newton, porte-parole des idées de tolérance… l’unification intellectuelle est essentielle même s’il existe des décalages temporels et géographiques.
Lumières = un phénomène totalement européen // république des lettres
L’Europe des Lumières = un réseau pas un seul centre et des périphéries !
D. Roche dit de ne pas confondre Lumières (Lumières + Aufklärung + Enlightenment…) et lumières françaises.
Bibliographie
99 questions sur la Révolution française, Elie ALLOUCHE, CRDP académie de Montpellier, 2005.
Penser la Révolution française, François Furet, Gallimard, 1978.
Qu’est-ce que les Lumières ? Alphonse Dupront, 1996.
Dictionnaire critique de la Révolution française, Furet / Ozouf, 1992.
La Révolution française, Que sais-je ? F. Bluche, S. Rials et J. Tulard.
« Une révolution totale », entretien avec Daniel Roche, publié dans L’Histoire |
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